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Réseau de soins Kalixia : des questions sur la qualité des soins, l’accès universel au 100 % santé entravé

Actualités

26.11.20

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La société Kalixia, créée en 2019 par les groupes Vyv et Malakoff Humanis, a annoncé que son « appel à propositions Kalixia Audio» serait ouvert du 8 octobre au 2 décembre 2020.

La société Kalixia, créée en 2019 par les groupes Vyv1 et Malakoff Humanis, a annoncé que son « appel à propositions Kalixia Audio» serait ouvert du 8 octobre au 2 décembre 2020. Les professionnels qui souhaiteraient intégrer ce « réseau de soins » doivent prendre connaissance d’un dossier complexe de 35 pages2 d’exigences et obligations diverses3, presque toutes à la charge des professionnels. De nombreux coûts supplémentaires4 sont ainsi imposés aux centres auditifs qui ne sont compensés par aucune contrepartie. Les constats de l’IGAS de 2017 se vérifient donc à nouveau : « la relation contractuelle entre les plateformes et les professionnels de santé est (...) déséquilibrée. En plus d’être conclues sans aucune négociation (...), ces conventions comportent une très forte asymétrie des droits et obligations réciproques »5, et cela au détriment des professionnels de santé.

Pourtant, depuis 2017, le contexte a radicalement changé puisque le « 100 % santé » sera effectif dès le 1er janvier 2021 en audioprothèse. Pour cette réforme, que le Syndicat des audioprothésistes (SDA) appelait de ses vœux et soutient, le SDA a concédé des conditions tarifaires exigeantes contre une amélioration substantielle des remboursements. En conséquence, les deux classes d’aides auditives comprennent une classe 1, le panier « 100 % santé » doté d’un prix limite de vente et intégralement pris en charge, et une classe 2 qui n’est pas véritablement « à prix libres » puisque dotée d’un mécanisme de régulation6 qui en fait une offre « à prix encadrés ».

Une nouvelle nomenclature technique a aussi été publiée7. Celle-ci prévoit notamment que « Les prestations de suivi ont pour objectifs l'amélioration continue des réglages de l'aide auditive et l'optimisation de l'observance. L'audioprothésiste doit pour cela prévoir des séances régulières au cours desquelles il assure l'adaptation technique de l'aide auditive. La fréquence minimale recommandée du suivi est bi-annuelle, après la première année ». Ces exigences sont justifiées par l’importance du suivi. L’Autorité de la concurrence avait en effet considéré que « la satisfaction du patient, facteur d’observance, dépend en grande partie du savoir-faire de l’audioprothésiste et de son implication dans la réalisation des prestations de suivi »8.

Or, dans son appel à propositions, Kalixia préconise : « À partir de la 2ème année après la délivrance de l’appareil auditif, les séances de contrôles, réalisables par l’assistant audioprothésiste une fois sur deux, intégreront les vérifications prévues par la règlementation en vigueur ». Les utilisateurs du réseau Kalixia n’auraient donc droit au « savoir-faire de l’audioprothésiste » qu’une fois sur deux ! Kalixia propose un suivi intermittent par les professionnels de santé que sont les audioprothésistes, alors même que le « 100 % santé » se met en place pour permettre une meilleure prise en charge des personnes ayant des problèmes d'audition.

S’affranchissant des textes réglementaires, les termes du contrat Kalixia Audio laissent donc à penser que les obligations et coûts supplémentaires exigés de ses futurs adhérents le seraient au détriment de la qualité des soins offerts aux patients, seule variable d’ajustement dans un contexte tarifaire fortement contraint par les pouvoirs publics. La société Kalixia se questionne elle-même sur l’attractivité de son contrat puisqu’elle a prévu une « Clause d’Appel à propositions infructueux » : « KALIXIA se réserve le droit d’annuler l’Appel à propositions (…) si le nombre de Centres Candidats ou si le nombre de Centres Partenaires devait être trop faible (…) ».

Plus généralement, l’économiste Thomas Philippon, dans un ouvrage remarqué9, a démontré le recul de la concurrence aux Etats-Unis causé par la trop grande concentration des entreprises, avec pour conséquence des biens et services plus chers qu’en Europe. Il a constaté « le même phénomène dans la santé, un marché concentré dans un très petit nombre d'acteurs, résultat d'un jeu entre assureurs, laboratoires et réseaux de soins, qui se sont concentrés par vagues successives. Résultat, les soins sont deux fois plus chers en moyenne, pour des indicateurs de performance assez médiocres »10. Grâce au « 100 % santé », plutôt qu’un oligopole de 4 ou 5 « réseaux de soins », les patients bénéficieront des services de plus de 4 000 audioprothésistes exerçant dans plus de 5 000 centres auditifs proposant des équipements de qualité sans reste à charge et cela dans un secteur concurrentiel. Dans son enquête de 2016, l’Autorité de la concurrence avait en effet constaté « que le maillage territorial [était] relativement satisfaisant » et « que la structure du marché devrait favoriser la concurrence »11.

Dans un communiqué de 201912, le Centre national des professions libérales de santé (CNPS) estimait que les « réseaux de soins » étant « inadaptés à réduire le reste à charge des plus modestes », « le gouvernement a mis en œuvre la promesse présidentielle du "reste à charge zéro" ». Le CNPS concluait donc par un appel « à une révision de la législation des réseaux de soins et à l’instauration d’un cadre national de négociation entre mutuelles et syndicats représentatifs ». Alors qu’en audioprothèse on s’adresse à une population âgée et fragile (53% des équipements sont délivrés à des personnes de plus de 75 ans), les impératifs de santé publique ne doivent-ils pas prendre le pas sur les stratégies marketing de différenciation des assureurs santé ? Est-ce éthique, est-ce responsable, d’orienter une personne de 80 ans vers un centre distant alors que potentiellement un centre est disponible près de chez elle, mais « hors du réseau de soins » ? Le SDA demande aux autorités publiques et aux organismes de régulation que l’accès universel au « 100 % santé » en audioprothèse ne soit pas entravé par l’action des « réseaux de soins ».

 

1 Le groupe Vyv comprend Harmonie Mutuelle, MGEFI, MGEN, Mutuelle Mare-Gaillard, MNT et SMACL Assurances.

2 « Règlement d’appel à propositions » (10 pages), « Conditions Générales de conventionnement » (13 pages), « Informations relatives à la protection des données à caractère personnel » (3 pages), « Charte Qualité » (9 pages).

3 Tiers-payant obligatoire, carnet de suivi obligatoire, recueil d’informations et de consentements obligatoires, etc.

4 Gratuité des essais en intra-auriculaire, kit d’entretien pour 6 mois gratuit, extension du contrat aux ascendants de l’assuré, etc.

5 Les réseaux de soins, N. Durand et Dr J. Emmanuelli, juin 2017. Voir aussi notre communiqué : http://www.unsaf.org/doc/CP_Unsaf_-_IGAS_reseaux_de_soins_-_14_11_2017.pdf

6 Si le prix médian de vente sur le marché libre dépasse 1 600 €, il sera aussi créé un prix limite de vente pour la Classe 2.

7 Arrêté du 14 novembre 2018 portant modification des modalités de prise en charge des aides auditives et prestations associées au chapitre 3 du titre II de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037615111

8 Enquête sectorielle sur les audioprothèses : document de consultation publique du 19 juillet 2016, page 23.

9 Thomas Philippon, The Great Reversal : How America Gave Up on Free Markets, Harvard University Press, 2019

10 Les Echos, Interview de Thomas Philippon : « « Aujourd'hui, c'est l'Europe qui, dans le monde, incarne le libéralisme éclairé », 27 août 2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/aujourdhui-cest-leurope-qui-dans-le-monde-incarne-le-liberalisme-eclaire-1126713

11 Enquête sectorielle sur les audioprothèses : document de consultation publique du 19 juillet 2016, pages 14 et 16.

12 Réseaux de soins : le CNPS appelle à réviser la Loi Le Roux, 28 juin 2019 : http://www.unsaf.org/doc/CP_CNPS_Reseaux_de_soins_28.06.2019.pdf

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