19.05.25
Pour Luis Godinho, membre du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, il faut reformer le modèle des complémentaires santés, jugées trop coûteuses et pénalisantes pour certains Français.
Par Luis Godinho (membre du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie)
Récemment, plusieurs fédérations de complémentaires santé ont proposé dans les médias des économies sur le« 100 % Santé»: délais de renouvellement allongés, règles de remboursement durcies... Ces suggestions apparaissent avant tout comme une diversion du vrai sujet, la soutenabilité du système français des complémentaires santé, structurellement inefficient et dont les coûts explosent.
En effet, leurs frais de gestion ont augmenté à un rythme deux fois plus élevé que l'inflation entre 2011 et 2022, soit une hausse de 33 % en valeur, selon un récent rapport sénatorial consacré à l'impact sur le pouvoir d'achat des Français des tarifs des complémentaires.
À cette dérive budgétaire s'ajoute une inefficience structurelle. Le système actuel est doublement inégalitaire. D'une part, il pénalise les plus pauvres, dont le taux d'effort en santé (cotisation et reste à charge) atteint 10 % de leur revenu, contre moins de 2 % pour les plus aisés.
D'autre part, il désavantage les personnes âgées : leurs primes, fixées selon l'âge et non le revenu, peuvent dépasser 10 % de leur pension, souvent pour une couverture inférieure à celle des actifs. Cela conduit à une situation où les plus fragiles (retraités, mais aussi chômeurs), qui ont le plus besoin de soins, ont la couverture la plus coûteuse.
Pourtant des gisements d'économies existent. Les frais de courtage, notamment les commissions versées à ces intermédiaires, constituent une dépense croissante et peu encadrée, selon le rapport du Sénat. Les plateformes de « réseaux de soins» autorisées par la loi Le Roux n'ont pas diminué les restes à charge, tout en restreignant le libre choix des patients, et pèsent sur les frais de gestion.
"96 % des Français ont une complémentaire mais près d'un tiers d'entre eux peine à en supporter le coût, une refonte du modèle s'impose."
Les multiples systèmes de tiers payant, engendrant des coûts d'interopérabilité injustifiés, pourraient être remplacés par un système unique, mieux sécurisé et plus économique, pour les complémentaires comme pour les professionnels de santé. Les médecines dites «douces», dont le ministère de la Santé avertit sur leurs effets indésirables« mal, voire non connus», ont vu leur remboursement par les complémentaires exploser, avoisinant le milliard d'euros par an.
Mais au-delà de ces pistes, une réforme structurelle est indispensable. La réponse n'est pas dans la« Grande Sécu » qui supprimerait toutes les complémentaires au profit d'un monopole public, mais dans une voie intermédiaire et pragmatique : une assurance complémentaire obligatoire, universelle et mutualisée.
Cette solution, décrite en 2022 par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, permettrait d'unifier les garanties de base, de répartir plus équitablement les cotisations, et de réduire drastiquement les frais de gestion en standardisant les prestations.
Ce scénario n'a rien d'utopique. En 2014 déjà, dans leur note« Refonder l'assurance maladie », Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, futur prix Nobel d'économie, proposaient une solution proche. « L'hétérogénéité des contrats d'assurance complémentaire permet actuellement aux assureurs de développer des stratégies de sélection des risques et rend l'offre peu lisible pour les assurés. La solution est de définir un contrat homogène et de demander aux organismes complémentaires d'afficher leur prix pour cette offre». Par ailleurs, selon eux, les subventions accordées aux contrats collectifs n'ont pas de justification économique : «Elles introduisent une inégalité entre citoyens dans l'accès à l'assurance complémentaire et favorisent des couvertures trop généreuses».
Alors que 96 % des Français ont une complémentaire mais près d'un tiers d'entre eux peine à en supporter le coût, une refonte du modèle s'impose. Il est temps de sortir du statu quo et d'engager une transformation dont les gains contribueront au redressement des comptes sociaux.
Luis Godinho est vice-président de l'interprofessionnelle« Les Libéraux de santé» et membre du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCMM).